Dans quelques mois, l’Américain moyen – et tout citoyen du monde correctement informé – sauront si la trois cent-soixante-quatrième fortune mondiale permet d’acheter la présidence des États-Unis. À supposer que l’achat se concrétise, ils sauront ensuite si un milliardaire peut avoir un réel souci du bien commun, si une vie de chasse au trésor garde son bénéficiaire capable de gérer le bien d’autrui en tout désintéressement. Est-ce pensable ?
Mais était-il pensable, il y a un an d’ici, qu’un vieux birbe plein aux as joue soudain les godelureaux et prenne pied, comme un novateur, sur un terrain politique où il n’avait jusque-là pratiqué que la sponsorisation ? Était-il pensable que cette ambition mégalomaniaque suscite, chez les observateurs et les citoyens, autre chose qu’une franche hilarité ou une stupéfaction apitoyée ? Or, que se passe-t-il ? Comment un cabotin apolitique sans trop d’envergure d’esprit parvient-il à capturer les suffrages de citoyens en principe normalement constitués ? C’est transparent : Donald trompe.
La clef de sa méthode ? Rester lui-même, c’est-à-dire en dehors du politique et en dedans du médiatique.
Il a managé sans ménagement entreprises et sociétés diverses ; il managera de même les États-Unis, où les « gagneurs » jouissent d’un prestige incomparable et d’une confiance irraisonnée. Il prétend enrichir l’État par les voies où il a grandi lui-même. Il essaye de faire croire qu’il se dresse contre l’establishment, alors que son parcours personnel l’y rattache par mille et une ramifications et fait de lui le riche valet des nantis. Donald trompe.
Quel besoin, dès lors, d’un programme politique ? Il suffit d’« idées » à tous vents, calibrées sur les circonstances et les auditoires, de « solutions » rapides, simplistes, irréalistes, à la mode de l’extrême droite. Désamorçages à bon marché des peurs du moment : murs, expulsions, interdictions de séjour… Postulat : toute idée serait immanquablement faisable. Quand on veut, on peut. Quitte à marcher sur le corps de toutes celles et ceux qui vont se trouver dans le chemin. Comme si le bien commun appartenait plus à certains qu’aux incertains et aux perdants. Donald trompe.
Quel langage de candidat adopter pour échapper au trop lisse « politiquement correct » ? Suffit-il de tenir des propos tenus qui ne soient ni politiques ni corrects ? Le héros du marché stigmatise au passage telle ou telle minorité, pour racoler tous les haineux de telle ou telle majorité. Comme si une épidémie de mépris rendait la santé aux arrogants complexés. Comme si une cure de bassesses pouvait rendre à l’État une prétendue grandeur. Donald trompe.
Osons une lapalissade : pour réussir, le trompeur a besoin de « trompables » – peu de dictionnaires agréent le terme. Il faut des citoyens prêts à écouter ce type de langage, à accepter de telles (im)personnalités, à faire chorus et à emboîter le pas. Les élections primaires en cours révèlent que leur nombre dépasse les attentes. Apparemment, ils veulent ignorer à quelle duplicité un bateleur du télévisuel peut s’abaisser : il transpose sa quête d’audimat en collecte de suffrages. Servez au client ce qu’il attend et il s’attache à vous. Racistes, xénophobes, idolâtres des armes à feu, anti-migrants, forcenés du « tous pourris », et autres confrères en nobles sentiments, chacun reçoit sa pitance et rejoint le cortège des supporters séduits et grugés. Là où les appâts électoraux tiennent lieu d’idéologie ou même de pensée, le citoyen lambda qu’aucun excès ne tente, à qui répugnent les provocations populistes, reste sans voix, tout en gardant heureusement sa voix : qu’une majorité s’y rallie et la politique – au sens noble d’« organisation concertée du bien commun » – survivra au raz-de-marée nauséabond et reprendra sa marche difficile. S’il croit réunifier un pays civilisé à coups de remparts, rejets, exclusions et violences en tous genres et le convaincre que telle est la grandeur humaine, comment ne pas désirer que Donald se trompe ?
Publié dans La Libre Belgique, p. 50 et 51, le mardi 15 mars 2016.