La modestie n’est pas à la mode. Sans doute est-elle tenue pour peu rentable par les adeptes de plus en plus nombreux d’une communication choc.
Un ouvrage tout récent, déjà catalogué best-seller, donne la parole aux proches du Président des États-Unis. Le résultat est peu concluant pour l’occupant de la Maison Blanche, descendu en flammes par une grande majorité des interviewés : on souligne surtout sa méconnaissance des dossiers et son instabilité quasi infantile. Réaction de l’intéressé ? Son parcours personnel, tweete-t-il, révèle qu’il « ne mérite pas le qualificatif d’intelligent, mais de génie… et un génie tout à fait équilibré avec ça » (sic). Cette vanité affichée de grand benêt contredit le message. Il faudrait de l’intelligence pour comprendre la portée de pareille affirmation.
La manie du même homme de se répandre en « réflexions » improvisées sur twitter révèle une égale suffisance : la conviction d’être le seul à pouvoir trouver les mots et les phrases qui diront les choses comme il faut, en contournant les « méchants médias ».
Combien de politiciens n’ont pas pris le pli de cette présomption d’intelligence supérieure qui doit court-circuiter les professionnels de l’information ? A succombé récemment à la tentation le Premier Ministre belge. Il faut dire que ce dernier pourrait rédiger un traité pratique de l’autosatisfaction goguenarde. Les résultats de son action sont généralement qualifiés par lui-même, en toute humilité, de remarquables, exceptionnels, uniques, voire « historiques ». À l’entendre, tout citoyen devrait immanquablement se réjouir dans le pays de cocagne créé par son gouvernement.
Mais reconnaissons-le : ces épiphénomènes politiques ne sont que les émergences ponctuelles d’une immodestie largement répandue.
Pourquoi, pensez-vous, ne faut-il que quelques jours à un grand patron d’entreprise pour gagner autant qu’un de ses salariés sur toute une année ? Et pourquoi les émoluments du P.D.G. augmentent-ils bien plus vite que le salaire de la base ? C’est que le salaire doit correspondre à l’image sublime que ces nababs se font d’eux-mêmes : ils ont « conscience » du fossé qui les sépare des simples péquenots à leur service et qui, en toute discrétion, doit continuer à se creuser.
Ne faisons pas non plus de l’autosatisfaction l’apanage des personnages haut placés. Elle pousse aujourd’hui un grand nombre de simples mortels à avoir des avis péremptoires sur tout : ils ont tellement raison à leurs propres yeux qu’ils n’hésitent pas à publier leurs sentences en termes parfois violents, sans prendre le temps de la réflexion ni des nuances.
Le contentement de soi n’est-il pas aussi le principe directeur des entretiens d’embauche ? Pour « se vendre » efficacement, le candidat est appelé à montrer la foi la plus inébranlable possible en ses compétences et qualités. Si femme et homme sont inégaux dans l’accès aux fonctions de direction, l’hypothèse a été formulée que c’est peut-être parce que l’homme « se vend » mieux. La modestie serait-elle dès lors plus souvent féminine que masculine ? Allez savoir…
Il n’est pas facile de trancher. L’autosatisfaction est comme la langue d’Ésope. Une image positive de soi – pas nécessairement étalée devant la galerie – dynamise, pousse à l’action, au progrès et à la réussite. A contrario, l’orgueil satisfait peut provoquer l’immobilisme, l’inertie du contemplateur béat de ce qu’il croit ou prétend être sa propre réussite.
Dans tous les domaines, mais particulièrement en politique, les rodomontades semi-publicitaires ont quelque chose de gênant. Nous sommes prêts à reconnaître les qualités d’un individu ou d’une action, mais moins à prendre au sérieux quelqu’un qui s’autoproclame « génie » ou homologue ses propres actions comme « historiques ».
Pour ma part, j’éviterai donc soigneusement de terminer en vous enjoignant de ratifier sans conditions ce qui vient d’être dit, parce qu’il s’agirait de l’analyse la plus brillante et la plus clairvoyante de l’année, voire du siècle.
Publié dans La Libre Belgique, p. 41, le jeudi 11 janvier 2018.