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Vacances : se déconnecter pour se reconnecter

Les deux adversaires sont face à face.

À ma gauche, les Vacances, relax mais déterminées à ne pas s’en laisser compter. Elles sont solides et bien documentées à force d’avoir vu du pays. Elles ont les avantages de leur longue expérience et d’une sympathie assez générale rarement démentie.

À ma droite, un champion apparu plutôt récemment. On peut faire remonter sa naissance à 1962 si on la fait coïncider avec la création du mot « informatique ».  Nous allons l’appeler Connecticut. « Connect- » parce qu’il est le leader des connectés et « -cut » par aphérèse pour uppercut, parce qu’il n’hésite à faire le coup de poing contre n’importe quel challenger.

Pendant que les deux antagonistes se préparent, chacun dans son coin, faisons un peu plus ample connaissance en examinant leurs caractéristiques et leur mode d’action respectifs.

Tout le monde connaît les vacances. Mais se souvient-on que l’étymologie – du latin vacuus qui signifie « vide » – leur donne comme arme principale le vide ? Les vacances vident la semaine ou le mois qu’on leur concède de tout ce qu’on veut : obligations professionnelles, habitudes routinières qui rende le quotidien grisâtre, soucis liés à l’environnement immédiat. Les vacances désencombrent d’un certain bric-à-brac de la vie active pour que le vacancier se sente pousser des ailes. Il s’envole au pays de ses rêves et de ses libertés.

(Presque) tout le monde connaît aussi Connecticut – même si ce n’est pas sous ce nom-là, car ses avatars prolifèrent.  La connectivité, « liaison entre deux choses ou entre deux personnes », semble être devenue une des propriétés les plus essentielles non seulement de l’être humain, mais de toute chose en ce monde.  L’étymologie confirme l’idée de lien : le latin connectere signifie « attacher ensemble ». Connecticut attache, relie, joint, maille, tisse à l’infini et toujours plus et toujours plus étroitement. La solitude a-t-elle disparu grâce à lui ? Oui, si on entend par là qu’il est devenu impossible d’être isolé : il suffit de garder son smartphone constamment à portée pour rester à la merci d’une connexion.

D’un côté, le vide, c’est-à-dire, si pas la dissolution de tous les liens, leur réduction la plus drastique possible. De l’autre, le lien, et son infinie multiplication, imaginés parfois comme un progrès humain majeur et indispensable. En faut-il plus pour que Vacances et Connecticut se retrouvent sur un ring, pressés de régler un différend aussi basique ?

Cette opposition irréductible n’a pas échappé à la sagacité de professionnels du tourisme. Vous pouvez vous précipiter vers cet hôtel français où vous déposerez portables, tablettes et smartphones dans un coffre-fort pour trois jours. Prix : 1029 €. Vous paierez moins cher sans doute si vous repérer un village qui ne bénéficie d’aucune couverture de réseau. Il en reste un bon nombre, paraît-il.

À moins que vous ne décidiez vous-même de faire le vide. L’addiction moyenne aux réseaux a-t-elle atteint un niveau qui rendrait illusoire une initiative personnelle en la matière ? Souhaitons que non. Car un vrai ressourcement pourrait-il s’opérer quand des attaches innombrables et permanentes se transforment en entraves ? Un individu n’est pas l’autre. Mais l’embouteillage de contacts, professionnels ou autres, n’est reposant ni régénérateur pour personne.

Les vacances tiennent mordicus à leur vide. Connecticut se présente aujourd’hui comme l’adversaire le plus coriace. Il est loin d’être le seul. On peut remplir – et donc éliminer – le vide de bien d’autres manières : voyages épuisants, pléthore d’activités, bougeotte irrépressible, etc. Et si, au lieu d’un pugilat, Vacances et Connecticut tentaient de discuter et de trouver un compromis ? Que devraient dire Vacances pour convaincre ? Peut-être que l’amoureux passionné de liens n’y renonce pas pour autant. Il en change seulement. Il ne fait que mettre en veilleuse des liens dont l’omniprésence finit par le paralyser pour en raviver d’autres qui l’interpellent sur le sens de sa vie.

Publié dans La Libre Belgique, p. 39, du lundi 1er juillet 2019.

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