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Le prix du mensonge en politique

Que se passe-t-il, à votre avis, quand la pratique politique pactise avec le mensonge, comme les exemples s’en multiplient ? Serait-ce que les politiciens se sont inspirés de Voltaire ? « Le mensonge n’est un vice que quand il fait du mal ; c’est une très grande vertu quand il fait du bien. Soyez donc plus vertueux que jamais. Il faut mentir comme un diable, non pas timidement, non pas pour un temps, mais hardiment et toujours », écrivait-il dans une lettre.

Mais d’abord, y a-t-il du mensonge qui fait du bien ? Xénophon déjà, au ive siècle avant notre ère, classe certains mensonges parmi les actes justes. La tromperie du général qui voit son armée découragée et annonce des renforts imaginaires rend courage aux troupes et les mène à la victoire. La supercherie d’un père parvient à transformer un remède en aliment agréable : l’enfant l’accepte et retrouve la santé. Admettons que ceux-là restent « vertueux » : ils « rectifient le mal de l’action avec la pureté de leur intention », dirait le Tartuffe de Molière.

En politique, évoquer la pureté des intentions en cas de contrevérité risquerait de provoquer une hilarité générale. (Presque) toujours, la duplicité des politiciens n’a d’autre but que le pouvoir : le conquérir ou le conserver. Ils sont motivés par l’ambition, sous toutes ses formes : la preuve en est donnée lors des campagnes électorales où se déploie le plus largement l’éventail bigarré des mensonges les plus variés. Des promesses inconsidérées quasi impossibles à tenir aux engagements solennels qu’on trahira sans vergogne.

Chez les mystificateurs, comment distinguer la mauvaise foi de l’incompétence naïve ? Le prometteur de beaux jours sait-il pertinemment qu’il fera le contraire de ce qu’il dit ? Ou, incapable de prévision, dit-il n’importe quoi pourvu que l’électeur potentiel aime l’entendre ? Dans une hypothèse comme dans l’autre, il faudrait conclure qu’il se discrédite et ne mérite pas notre suffrage.

Sera-ce le cas ? Le prix à payer pour le mensonge sera-t-il la disgrâce électorale ? C’est loin d’être sûr. Une société où la tricherie est monnaie courante a forcément tendance à banaliser les trucages en tous genres : pourquoi sanctionner le politicien trompeur si l’on prend part soi-même à des filouteries, même bénignes ? Les organisateurs de paris truqués sur les matches de tennis vont-ils prendre pour critères, s’ils votent, la droiture et l’honnêteté ? Il est pourtant clair qu’une intransigeance de l’électeur en matière de probité serait le meilleur rempart contre la prolifération des duperies. La désertion électorale ne constituerait qu’un juste retour des choses.

Mais le retour de flammes s’avère bien plus cuisant lorsque le menteur doit assumer certaines conséquences, pourtant prévisibles, de ses actes de mauvaise foi. Le contexte politique belge actuel en fait la meilleure démonstration.

Alors président du seul parti francophone aujourd’hui présent dans le gouvernement, le Premier Ministre avait affirmé sans ambiguïté qu’il excluait toute alliance avec le parti des nationalistes flamands.  L’élection faite, le même a gobé la couleuvre que ce parti flamand de droite – extrême, selon certains – s’en tiendrait strictement à des exigences économiques qui collaient, somme toute, assez bien avec un libéralisme pur et dur. Il a (peut-être) rêvé que ce groupuscule devenu tentaculaire allait mettre entre parenthèses non seulement ses aspirations indépendantistes, mais aussi les antivaleurs qui alimentent son fond de commerce.

Toujours est-il qu’il se retrouve désormais aux prises avec les déclarations sciemment intempestives d’un Secrétaire d’État à la Migration qui se sait indéboulonnable : son éviction entraînerait la chute du gouvernement. Or celui-ci doit impérativement tenir jusqu’au bout de la législature pour essayer de faire oublier à l’électeur qu’il repose, au départ, sur une trahison des engagements de campagne.

Certains propos du Secrétaire d’État, par ailleurs tweeter compulsif, vont très loin dans l’antihumanisme : menaces contre les recteurs d’universités pour avoir donné un avis non souhaité, contestations ou distorsions répétées de la convention des droits de l’homme. Etc. Le Premier Ministre « recadre » à qui mieux mieux. À peine tracé, le nouveau cadre craque sous de nouveaux coups de boutoir que le gouvernement continue à soutenir parce que « fermes et humains ».

Tel est le prix élevé à payer pour le mensonge « quand il fait du mal » : se retrouver en contradiction avec des valeurs qu’on a crues et dites siennes. Avoir vendu son âme. Mais tout n’est pas perdu au royaume de l’illusion. Écoutez plutôt le porte-parole du parti libéral : il n’y a aucun malaise dans la majorité ni dans le parti. Si ce n’est pas une inexactitude de plus, voilà de quoi évaluer cette majorité et ce parti. Et en tirer, si possible, de vrais enseignements…

Publié sur le site du Vif/l’Express, le vendredi 8 juin 2018, à 13 h 00.

Published inDémocratieEthiquePolitiqueSociété