L’austérité. Vous la connaissez. On ne parle que d’elle depuis des années. Est « austère » – du latin austerus, « sec, rude, âpre » – celui « qui se montre sévère pour soi, ne s’accorde aucun luxe ou plaisir ».
Voilà que les pouvoirs publics se sont vu donner le mot d’ordre par les instances internationales, fortes comme des bœufs, d’être austères, c’est-à-dire vaches. Après le beau temps, la pluie. Après la période des vaches grasses, où, croirait-on, l’argent public consacré au bien-être des citoyens, était jeté par les fenêtres, entrons dans le temps des vaches maigres : les dépenses publiques vont se trouver rationalisées, ce qui revient pratiquement à dire « rationnées ». Tous les services publics, y compris les plus régaliens comme la justice, tombent sous le joug de responsables politiques convertis en grippe-sous. C’est un coup vache pour le citoyen : il paye davantage pour la même chose ou paye la même chose pour un moindre service.
L’accord est loin d’être unanime pour voir dans l’austérité le remède miracle aux déficits accumulés. Mais le langage majoritaire néolibéral la juge incontournable et arrive à en convaincre un grand nombre.
Stupeur soudaine. Des scandales multiformes ouvrent les yeux effarés de la population. (Bon) nombre de mandataires politiques souffrent de schizophrénie face aux deniers publics : parcimonieux quand il s’agit d’investir pour le bien commun, ils sont prodigues, voire dilapidateurs, pour s’enrichir personnellement. Des systèmes complexes à l’extrême, dans lesquels une vache ne trouverait pas son veau, révèlent in fine leur raison d’être : permettre de rémunérer en toute discrétion et au-delà de toute mesure raisonnable les adorateurs du veau d’or. Aux frais du citoyen.
Les enquêtes sur les machineries élaborées en marge des structures officielles marquent le pas parce que la plupart des intéressés ont un bœuf sur la langue, ce qui ne les a pas empêchés de mettre la charrue avant les bœufs, le profit personnel avant le bien commun. Pendant qu’ils amenaient les citoyens à manger de la vache enragée, ils n’hésitaient jamais à tuer le veau gras pour festoyer entre amis et initiés. Quand on les met en cause, leur dignité offusquée leur va comme un tablier à une vache.
Ces révélations ont eu un effet bœuf sur l’opinion publique, devenue un acteur du champ politique particulièrement présent depuis que les réseaux sociaux donnent la parole à tous, même aux peaux de vaches. Le milieu politique, contraint à la réaction, chante pas mal de couplets à propos de la nouvelle « gouvernance » ; mais il ne se précipite pas vraiment pour assurer le nettoyage des étables, ou plutôt des écuries d’Augias.
Il paraît, par exemple, très difficile de ne pas cumuler les fonctions, qu’elles soient politiques ou privées, et d’accepter le dicton : « Chacun son métier, et les vaches seront bien gardées. » Difficile aussi de ne pas cumuler les rémunérations, alors qu’on le sait pourtant : « Qui vole un œuf, vole en bœuf. » De tergiversation en faux-fuyant, de dérobade en atermoiement, le cheptel politique s’éreinte en vain à récupérer un label éthique qui seul pourrait rassurer. Comme c’est dur, pour les abuseurs du pouvoir, de quitter leurs hautes sphères pour retrouver le plancher des vaches !
Face à cette ankylose des partis, que peut le citoyen lambda ? Pleurer comme un veau ? Se consoler en se disant qu’il y a pis ailleurs ? Se réfugier à l’ombre des simplismes mis en vitrine par les extrémistes, trop heureux que les autres leur fournissent du fourrage prémâché ? Leur sourire essaye de faire oublier qu’ils sont aussi des partis, aux pratiques anachroniques et obsolètes par excellence. Ou attendre désespérément, inspiré par l’exemple français, un candidat hors parti, libre de ses options politiques et éthiques ?
Quoi qu’il en soit, chaque membre de la société se voit rappeler de façon cuisante l’importance cruciale de son vote. Qui n’aura pas perçu que la personne du candidat mérite d’être prise en considération bien plus que la couleur ou la pâleur du parti ? Sur la base de ce critère pourrait émerger des urnes une génération politique obsédée par le bien commun et moins encline à traiter le citoyen comme une vache à lait.
Publié sur le site du Vif/l’Express, le lundi 17 juillet 2017, à 13 h 21.