Une nouveauté de plus dans l’embrouillamini des inscriptions en première année de l’enseignement secondaire : la fin de l’« adossement ». Le terme désigne le couplage d’une école primaire avec une école secondaire. Cette proximité n’est pas seulement géographique – avec ce que cela suppose comme facilités pour des familles qui ont des enfants des deux côtés –, mais pédagogique : le secondaire vient s’appuyer sur des bases au courant desquelles il est tenu par le primaire. Ce dispositif, qui existe de longue date, passe à la trappe : l’élève de sixième primaire n’est plus prioritaire pour aborder le secondaire dans « son » école. Une fois encore, la décision politique traite avec un dédain souverain à la fois le jeune, ses parents et l’école.
Dédain surtout envers le jeune et ses conditions de réussite. Pour le jeune qui entame le secondaire dans la même école, la transition y gagne en harmonie : il échappe à un dépaysement souvent dommageable. Cette chance disparaît. Tout en prétendant maintenir comme critère d’inscription le continuum pédagogique, on supprime le continuum de l’adossement. Fini de compter paisiblement sur une inscription logique dans l’école où l’élève termine sa sixième primaire !
Dédain vis-à-vis de nombreux parents, qui ont en plein le dos. Ils ont inscrit leur enfant dans une école primaire « adossée » pour qu’il puisse poursuivre sa scolarité dans l’école secondaire partenaire. Ils y voyaient une sécurité pour leurs enfants et pour eux. Et maintenant qu’on change les règles du jeu, ils devraient courber le dos ? Ils se sentent frustrés et floués, surtout s’ils ont voté pour des partis « défenseurs de l’enseignement », qui n’hésitent pas à se mettre à dos tous ces naïfs qui les ont crus. Dès que les électeurs ont eu le dos tourné, ces prometteurs de beaux jours ont préféré passer la main dans le dos des idéologues plutôt que de tenir leur parole. Ces revirements, si négatifs pour l’image du monde politique, sont devenus monnaie courante, mais continuent à faire froid dans le dos
Quels arguments va-t-on leur avancer pour expliquer que cette cohérence pédagogique, évidemment utile à la réussite des études de leurs enfants, est aujourd’hui brisée ? La mixité sociale ? Elle a bon dos. Et, dans l’état actuel des constats, elle n’a pas progressé – au contraire, parfois – par la vertu du décret sur les inscriptions. L’égalité ? Celle qui consiste à généraliser la rupture pédagogique entre le primaire et le secondaire est-elle à rechercher ? Le bon sens dira-t-il que quelqu’un y gagne quelque chose ?
Dédain des politiciens, enfin, à l’égard de l’école qu’ils sont censés organiser. Ils déstructurent un dispositif pédagogique qui a fait ses preuves. Faut-il dès lors s’étonner que tant de censeurs cassent du sucre sur le dos de l’enseignement, quand des facteurs de tous ordres, idéologiques, politiques, économiques et autres, éclipsent la dimension pédagogique, que le simple bon sens placerait au cœur de toute politique scolaire ? Après ces errements qui contribuent à perturber l’école, le comble serait de tomber sur le dos des enseignants pour leur reprocher un manque d’efficacité. Et d’être toujours sur leur dos pour leur enseigner les recettes pédagogiques destinées à remédier aux chambardements.
Comment le commun des mortels peut-il voir positivement l’école si tout y change tout le temps ? Mesdames et messieurs qu’on nomme grands, de grâce, accordez à l’école un soupçon de stabilité. Renvoyons dos à dos l’immobilisme et le prurit du changement. Il serait tellement confortable – un confort devenu quasi inimaginable – pour l’école que tous, jeunes d’abord, mais aussi parents et acteurs de l’école, sachent à quoi s’en tenir dans la durée. La méthode politique qui va de soubresauts en cabrioles constitue une menace permanente, face à laquelle tous font le gros dos.
Publié dans La Libre Belgique, p. 55, le mercredi 19 mars 2014.