Branle-bas en mai dernier dans le microcosme de l’inspection scolaire. Le Selor organise un examen de recrutement qui voit défiler 650 candidats. Deux inspecteurs en fonction sur trois sont tenus d’y participer pour accéder à la nomination définitive. Après « paramétrage des corrections pour maximiser les résultats », le taux de réussite passe de 4 % à 38 %, mais de nombreux « faisant fonction » sont recalés. Certains reçoivent leur fin de désignation, d’autres non, parce que, dans leur catégorie, personne n’a réussi. Et pour certains postes, aucun candidat ne s’est présenté. Étonnant ! Cette fonction, dite de promotion, souffrirait-elle de pénurie comme la fonction d’enseignant ?
Relevons que ces échecs ont entraîné la « réduction à l’état d’enseignant » des inspecteurs dégommés. Elle a apitoyé un dirigeant syndical, qui a dit : ces inspecteurs ff seraient susceptibles de réintégrer leur fonction antérieure, parfois après six ou sept ans d’exercice, ce qui serait une catastrophe pour eux. Comme si la reprise des cours était une épreuve majeure pour qui a exercé la haute mission d’inspecteur. Mais en quoi consiste cette mission ? L’étymologie veut que l’inspecteur soit celui qui « plonge ses regards dans », qui « regarde attentivement, de près ». Il ne travaille pas à l’œil, mais joue de l’œil : du regard, selon les termes officiels, il évalue et contrôle le niveau des études, le respect des programmes, l’adéquation du matériel didactique et de l’équipement scolaire aux nécessités pédagogiques et la cohérence des pratiques pédagogiques dont les pratiques d’évaluation.
Ces tâches sont-elles plus importantes et plus valorisantes que l’enseignement même ? Et si, dans un cas comme dans l’autre, l’enjeu était la qualité du regard ? Et si, pour les deux fonctions, même si ce n’est pas le critère adopté par les recruteurs, l’oiseau rare était celui qui regarde le mieux ? De quel regard ? Un regard bienveillant et veillant bien. Un regard d’autorité, de la seule autorité acceptable : celle qui considère le « subordonné » comme son égal, qui le voit positivement, capable d’exercer sa liberté dans des limites bien situées, et qui ajoute son poids personnel à celui de l’autre pour l’augmenter, le faire grandir.
Nous le savons par expérience : tel n’est pas le regard spontané de toute autorité. Loin de là. Parmi les enseignants et parmi les inspecteurs, nous avons sans doute tous connu des potentats aux yeux revolver. Après leur intervention, les victimes du regard qui tue se retrouvent « cassées », les unes – élèves – comme les autres – enseignants –, pour avoir dû subir un mépris souverain et délétère. Un coup d’œil assassin suffit parfois pour que des êtres plutôt de bonne volonté se retrouvent « bons à rien » à leurs propres yeux et incapables de remonter la pente. Mais, à l’inverse, le regard de l’enseignant et de l’inspecteur peut détecter et conforter les promesses d’avenir qui habitent chacun.
Pour contribuer à endiguer les pénuries, lançons un vibrant appel à toutes celles et tous ceux qui ont remarqué, dans leur vie personnelle, qu’ils s’épanouissent lorsqu’ils portent sur les autres un regard qui crée et recrée. Ils ont leur place toute désignée dans l’enseignement ou dans son encadrement. En contrepartie, espérons que les organisateurs de l’enseignement – malgré les pamphlets qu’ils inspirent quelquefois – auront cette conscience : un « système » ne peut être défendu s’il empêche, ou seulement gêne, la construction des personnes grâce à des relations humainement vécues.
Si ce fil conducteur simple et de bon sens était directeur et proclamé tel, ne verrait-on pas refleurir des vocations ? Il y a là de quoi donner sens à une vie professionnelle engagée. Et plus aucun souci pour celles et ceux qui sont en place : quand les défis de l’éducation gardent leur dimension et leur épaisseur humaines, l’enseignant ne se dérobe pas et l’inspecteur ne renonce jamais.
Publié dans La Libre Belgique, p. 47, le lundi 2 septembre 2013.