« Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n’est point d’hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. » Tels étaient les propos de Robert Badinter, le 17 septembre 1981, quand il plaidait pour l’abolition en France de la peine de mort. Cet avis autorisé ne rencontre pas, faut-il le dire, l’assentiment unanime. Il suffit, pour s’en convaincre, de considérer la levée de boucliers que suscite, dans l’opinion publique, la mise en liberté conditionnelle d’un ou d’une criminelle notoire.
Pour adopter ce point de vue sur le délinquant, l’être humain que nous sommes doit passer par plusieurs conversions difficiles.
D’abord, en face d’un délit comme en face de toute action, le mouvement naturel assimile l’auteur et l’acte. Le voleur est réduit à son vol, qui devient, en quelque sorte, sa « définition », indépendamment de sa personnalité et du reste de son humanité. Il coule de source que l’enfant qui ment est menteur. À contre-courant, on peut se persuader que c’est faux, si par là on entend que le mensonge s’inscrit désormais dans sa nature et que cet enfant est définitivement perdu pour la vérité.
Cette première tendance entraîne une autre certitude : celle de la récidive inévitable. Coupable une fois, coupable en puissance plusieurs fois. Et, comme la vie courante nous confirme qu’il arrive à beaucoup de retomber dans les mêmes erreurs, nous perdons facilement de vue toutes celles et ceux à qui une erreur salutaire – felix culpa – ouvre les yeux et qui sont ainsi devenus capables de l’éviter et déterminés à s’en garder. Spontanément, nous pourrions être portés aussi à croire que plus la faute est grave, plus elle risque d’être répétée, ce qui est loin d’être démontré par la logique ou par l’expérience.
Enfin, face à la cruauté, à la barbarie de certains crimes, un humain réagit assez naturellement par la disqualification de leurs auteurs. Il ressent comme impossible de partager la même espèce humaine que ce « monstre ». Il ressent que pareil individu, en commettant tel acte, a franchi la frontière et a quitté la nature humaine. Or, ce n’est pas le cas. Mais il est difficile de l’admettre : quelles que soient sa capacité d’agir en connaissance de cause et l’inhumanité de son acte, le coupable reste une personne humaine.
En pays démocratique, le législateur a façonné la politique pénitentiaire avec le même a priori que Robert Badinter. Son intention est, par la peine que la justice lui impose, de mettre tout criminel en situation de réintégrer la société, à condition qu’il se soit amendé et qu’il ne présente plus de danger pour ses semblables.
Et le citoyen ? Quel rôle peut-il jouer pour contribuer au bon fonctionnement de la société ? Il y collabore nécessairement par les voies démocratiques normales : il vote dans le sens de ses opinions, pour un programme politique qui prend option concernant le système judiciaire et ses modalités spécifiques, comme celle de la libération conditionnelle. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, il peut aussi communiquer ses prises de position, inviter d’autres à s’y rallier, proposer des manifestations. Nouveauté des médias, mais constance dans les réponses à la question « citoyenne » : comment puis-je apporter mon écot à la justice face à une décision judiciaire ? Comment concilier de façon équilibrée le respect des victimes et de la loi, mais aussi du délinquant qui reste membre de la société qu’il a lésée ?
De tout temps, lors des procès de « monstres », les citoyens ont choisi différentes voies pour soutenir les victimes et s’indigner contre le crime. Certains sont allés invectiver et cracher leurs haines sur le parvis des palais de justice. D’autres se sont tus. Par indifférence ? Parfois sans doute. Mais le silence ne marque-t-il pas aussi, pour beaucoup, leur accord avec l’intention de réprimer le crime, tout en acceptant – avec espérance – que celui-ci n’interdise pas au criminel toute possibilité de rachat ?