Un vent favorable de source non autorisée a amené jusqu’à nous une information surprenante : les partis de la majorité fédérale, d’accord avec l’opposition, ont organisé dans l’ombre des groupes de travail qui, eux, n’ont pas chômé. Ils ont préparé le texte d’un décret – dont nous avons pu avoir la primeur – qui sera soumis sous peu aux votes des assemblées compétentes. Encore à la recherche d’un titre choc, les concepteurs ne s’en cachent plus : la mesure vise à assurer la mixité sociale dans les partis politiques, en jouant sur les inscriptions. L’objectif est clair : garantir, à terme, que toutes les catégories sociales sont équitablement représentées dans chacun des partis.
Pour atteindre ce difficile équilibre, le législateur commence par créer une période d’inscriptions délimitée dans le temps. Plus question donc de prendre n’importe quand sa carte de parti. À partir d’une date encore à fixer, un premier laps de temps sera destiné aux catégories estimées prioritaires.
Il s’agit en premier lieu de celles et ceux qui ont déjà un membre de leur famille, proche ou lointain, disposant de sa carte du parti. Ensuite sont pris en compte ceux qui pourront démontrer, grâce à une expertise psychologique, que leur idiosyncrasie n’est compatible qu’avec un seul parti ; ils devront en outre présenter un « projet d’intégration », montrant comment le parti pourra répondre à leurs besoins spécifiques. Mais seront encore prioritaires ceux qu’on reconnaîtra comme « socialement précaires », c’est-à-dire mis en difficulté particulière par le fait de ne disposer d’aucune carte de parti. Enfin préséance sera accordée à ceux qui appartiennent à des associations « adossées » aux partis, ayant signé avec les partis des conventions telles que, pour eux, l’inscription dans un autre parti constituerait un arrachement trop douloureux et déstabilisant.
Après cette première vague d’inscriptions, une autre période dûment limitée prévoit que chaque parti actera les inscriptions de tous les candidats non prioritaires et de ceux qui, bénéficiaires d’une priorité, n’auront pas pensé, par inadvertance, à la faire valoir en temps utile. Cette deuxième limite de temps franchie, si le nombre de places disponibles dans le parti ne permet pas d’accueillir tous les inscrits, il faudra passer à la phase du classement des candidats. Pour ce faire, le législateur, après bien des hésitations, laissera le choix au parti d’effectuer son tirage au sort sur la base d’un des trois critères suivants : l’ordre alphabétique, la date de naissance, la répartition équilibrée par classes d’âge.
Ces dispositions rocambolesques, sinon ubuesques, laissent perplexe l’observateur neutre. Pourquoi ne pas confier aux partis eux-mêmes le soin de rechercher une mixité sociale qui, à l’évidence, élargit leur base électorale, et augmente dès lors attractivité et efficacité ? Certains partis y avaient certainement déjà pensé et avaient travaillé dans ce sens. Pourquoi ne pas simplement s’en prendre aux récalcitrants et aux inconséquents ?
Un domaine qui, par comparaison, pourrait inspirer les milieux politiques est celui de l’enseignement. Bon nombre d’écoles ont compris depuis longtemps que l’enseignement et l’éducation s’adressent à tous les enfants et à tous les jeunes indistinctement. Il n’en a pas toujours été ainsi pour des raisons historiques, conjoncturelles et parfois idéologiques. Ces raisons continuent à produire des effets de retardement, mais la prise de conscience s’est faite dans beaucoup d’écoles.
Il n’échappe plus à grand monde aujourd’hui qu’une valeur principale de l’école est d’être ouverte et offerte à tous. Par souci non seulement de justice sociale, mais aussi d’efficacité : vivre à l’école la construction de son identité dans le respect des différences – il faut donc qu’elles soient présentes – constitue la seule préparation logique à une société où la différence existe de plus en plus et qui ne peut compter, pour survivre, que sur la conjugaison d’identités bien construites avec le respect des diversités.
La mixité sociale s’impose dès lors comme solution de bon sens, mais sa recherche demande patience, prise de conscience, évolution des esprits, évolution des structures. Chaque école responsable se pose ces questions. Les pouvoirs publics responsables gagnent à comprendre que leur rôle est de créer les conditions dans lesquelles ce progrès vers la mixité sociale peut non pas s’entamer, parce qu’il est déjà en cours, mais se poursuivre et s’accélérer ; parmi ces conditions, la stabilité pédagogique, l’autonomie des communautés scolaires et la confiance sont essentielles.
Il reste à souhaiter que jamais autorité publique n’aura l’idée de prendre vis-à-vis de l’école et de ses inscriptions un décret comme celui dont vous avez appris ici le projet.
Publié sous le titre « Un décret mixité pour les partis », dans La Libre Belgique, p. 30, le jeudi 9 octobre 2008.