À l’usage du lecteur, voici une recette garantie pour redresser une situation financière difficile, pour redorer un blason quelque peu terni ou pour s’assurer très vite un capital de notoriété.
D’abord, vous choisissez un moment opportun. Par exemple, une période où l’opinion publique est particulièrement en éveil, sensible, réactive, parce que des événements importants l’ont secouée. Quelle qu’en soit la raison, il faut un terrain propice au déploiement des émotions premières. Les époques de sommeil et d’inhibition de l’opinion publique sont à proscrire pour le genre d’opérations dont nous parlons.
Ensuite, vous déterminez le sujet adéquat. Car le tout premier principe du commerce efficace consiste à sortir le produit attendu par la clientèle, ni plus ni moins. Si donc vous constatez que la moyenne des citoyens est focalisée sur tel sujet – suivez de près la courbe des ventes de journaux, des succès de librairie, de l’audimat –, ne cherchez pas plus avant : vous avez le sujet dont il faut disserter.
Reste à savoir maintenant comment vous allez dire du neuf sur le thème justement le plus rebattu de l’heure. Sur ce point, nous ne pourrons vous fournir que des indications : votre créativité doit pouvoir adapter les principes à la réalité de votre situation personnelle.
Pour faire simple, procédons à l’aide d’un exemple, purement imaginaire. Posons un pays lointain, dont la structure politique et les habitudes de vie seraient très proches de celles de la Belgique. Dans ce pays, un homme politique, X, a repéré le bon moment et le bon sujet. Il ne lui reste plus qu’à glaner matière à copie originale. Son esprit d’initiative travaille. Il suggère à son parti de demander la création d’une commission d’enquête parlementaire sur ledit sujet. Où trouver meilleure source d’information puisque cette commission aura les pouvoirs d’un juge d’instruction ? Et notre X se porte volontaire comme membre de la commission. Quelle énergie il va dès lors dépenser à poser les questions qui l’intéressent et à prendre les notes qui serviront son projet ! Tous ses pairs admirent sa détermination. Lorsqu’une partie suffisante de l’enquête est clôturée, X démissionne de la commission et publie la mise en forme de ses notes. Qu’en dites-vous ? N’est-ce pas bien joué ? Surtout s’il arrive à donner à son départ le retentissement qu’il faut pour que le livre se vende.
Voilà, cher lecteur, il vous suffit de transposer et vous publierez, vous aussi, votre livre, qui se vendra pas mal du tout. Remarquez néanmoins qu’une qualité bien spécifique, autre que littéraire, est requise. Vous devez être prêt à tutoyer, ou même à rudoyer la déontologie. Dans notre cas d’école, X, qui agit comme juge d’instruction, serait tenu au même devoir de réserve que le juge ; il doit donc disposer d’une personnalité qui puisse subordonner cette valeur à d’autres intérêts. Cet obstacle franchi, l’efficacité est totale. Car les secrets ont un fumet à nul autre pareil, attirant et fascinant. Mais, parce que le secret recueilli grâce à la fonction qu’on occupe lie celui qui l’entend, l’intéressé – dans tous les sens du terme – doit pouvoir, pour le divulguer à des fins personnelles, tenir cette responsabilité pour peu de choses ou pour rien du tout.
Si vous vous sentez nanti de cette «qualité», mettez en place votre stratégie et prenez, vous aussi, la plume. Trouvez un éditeur qui partage vos scrupules et leurs antidotes. Vous êtes sur la bonne voie de la rentabilité et de la célébrité, grâce à nos consignes, dont vous aurez bien perçu le caractère général. Tout rapprochement avec des événements ou des personnages connus serait inadéquat et abusif, sinon malveillant.
Publié partiellement dans le « Courrier des lecteurs » du Soir, le mardi 3 juin 1997. Publié dans le « Courrier des lecteurs » de La Libre Belgique, le jeudi 26 juin 1997.